Michel COLLOT

CB

BIOBIBLIOGRAPHIE
Né en 1952, Michel Collot a commencé à lire et à écrire de la poésie à un moment où la scène poétique et poéticienne était dominée en France par le structuralisme et le textualisme. Il s’est tourné vers la phénoménologie pour élaborer une alternative critique et théorique, notamment à la lumière de la notion d’horizon, qui est au cœur de sa thèse, soutenue en 1986. Cette réflexion a été nourrie par une pratique d’écriture qui n’a cessé de l’inspirer et de l’accompagner et qui a donné lieu depuis 1997 à la publication de six recueils. Dans ses essais comme dans ses poèmes, l’écriture et l’expérience poétiques apparaissent inséparables d’une émotion née au contact du monde et des mots. Depuis 1995, il dirige des recherches interdisciplinaires sur le paysage, dont il interroge les enjeux multiples et montre la place essentielle dans le champ social, intellectuel et artistique contemporain. Il anime actuellement un séminaire de recherche consacré à la géographie littéraire et aux rapports entre littérature, arts et nature.

Bibliographie

Essais

Horizon de Reverdy, Presses de l'École normale supérieure, 1981
L'Horizon fabuleux (t. I : XIXème siècle ; t. 2 : XXème siècle), Corti, 1988
La Poésie moderne et la structure d'horizon, PUF, 1989
Francis Ponge entre mots et choses, Champ Vallon, 1991
Gérard de Nerval ou la dévotion à l’imaginaire, 1992
La Matière-émotion, PUF, 1997
Paysage et poésie. Du romantisme à nos jours, Corti, 2005
Le Corps-cosmos, La Lettre volée, 2008
La Pensée-paysage, Actes Sud / ENSP, 2011
Pour une géographie littéraire, Corti, 2014
Gérard de Nerval, du réel à l’imaginaire, Classiques Garnier, 2018

À paraître :
Sujet, monde et langage dans la poésie moderne, de Baudelaire à Ponge, Classiques Garnier
Le Chant du monde dans la poésie française contemporaine, Corti

Poésie

Issu de l'oubli, Le Cormier, 1997
Chaosmos, Belin, « L’Extrême contemporain », 1997
Immuable mobile, La Lettre volée, « Poiesis », 2002
De chair et d’air, La Lettre volée, « Poiesis », 2008
L’Amour en bref, Tarabuste, 2013
Le Parti pris des lieux, La Lettre volée, « Poiesis », 2018

Éditions de texte

Anthologie de la poésie française tome II, XXème siècle, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2000.
André du Bouchet, Carnets (1952-1956), Plon, 1990 ; Ici en deux, « Poésie », Gallimard, 2011.
Jean Laude, La Trame inhabitée de la lumière, Corti, 1989 ; Les Plages de Thulé, La Lettre volée, 2012.
Francis Ponge, Douze petits écrits, Proêmes, dans Œuvres complètes, tome I, sous la direction de B. Beugnot, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard 1999.
Jules Supervielle, Oeuvres poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1996.



EXTRAITS
Chaosmos : la rumeur soudaine et sourde du gravier brassé le long du rivage, l’évidence d'un jet de pierre blanche dressée contre le bleu d’orage de l’horizon. Osmose rêvée de l’ordre et du chaos.

Thermes, piscines descellées, les aqueducs disjoints : l’eau qu’on voulait conduire a tout reconquis. La mer excavatrice a fouillé nos entrailles, carcasse à ciel ouvert. Sang de la brique à vif, son cri dans l’herbe.

La colonne concentre en elle la lumière : seule présence, radieuse, que je n’ai pas su prendre, — la pellicule est restée noire. L’œil happé par l’obscur soulèvement des montagnes au loin, le vert glauque du fond immémorial : de retour, ce regard errant où s’abîmer.

Portique qui encadre un rectangle de nuit, simple décor où des amours parent sans fin le trône de l’absent. Couleurs mêlées du sol et de la mosaïque effacée, qui hésite et résiste : grappes, guirlandes déployées, ou puits creusé ?

Une enfant m’a mené dans la crypte éventrée : convergeant vers la tête unique qui fait face et me fixe, deux profils de chevaux symétriques s’écartent dans l'infini des perspectives contrariées.

Chaosmos (Belin, 1997)

*

IGUAZÚ

Majestueuse la tour
des eaux s’écroule continuelle
sur elle-même tourbillonne
en cascades colonnes
torses qui escaladent
l’escarpement du ciel
où culmine la chute

le fleuve fume torrentiel
la roche écume l’air fulmine
les parois bougent la vapeur
en suspension s’immobilise
érige un dôme de brouillard
qu’irise un arc perpétuel

imperturbable dans la tourmente
un oiseau tournoie en silence
plane au-dessus des turbulences

une rumeur de ruine
éternelle s'élève
dans la nuit calme force de l’âme
ataraxie des cataractes

Immuable mobile (La Lettre volée, 2002)

*

À quelle alliance devons-nous
d’être jusqu’aux replis
les plus secrets de notre chair
irrigués d’air

fluide qui s’infiltre
au creux de la matière
purifiant notre sang
échange pulmonaire

déployant la ramure
de l’arbre qui respire
absorbe la lumière
et recrée l’univers

De chair et d’air (La Lettre volée, 2008)

*

À peine éveillée la beauté
de ton visage en moi
flamboie comme dans l'or
de l’automne en Corée
une rizière blonde
qui m’ouvre en son milieu
un sillon de plaisir

légère comme un peuple
de pavots palpitant
dans l’air du matin calme
posant mille baisers
sur ta lèvre en corolle

secrète comme un pli
ombreux de la montagne
où m’enfoncer torrent
tumultueux au sein
de la forêt touffue
jusqu’au fond de l’abîme.

L’Amour en bref (Tarabuste, 2014)

*

RÉSURGENCE

La rivière s’est échappée. On a perdu sa trace. Source enfouie, souches déterrées, racines arrachées. Soif essartée, langue coupée.

Dans une anfractuosité de la roche, elle s’est réfugiée. La nuit l’a recueillie. D’un sommeil millénaire elle a fait son lit, se frayant un chemin dans l’épaisseur obscure, obstinément.

D’une fissure étroite, elle rejaillit au jour, plus forte de tant d’efforts, et s’accumule dans un ressaut. Ressource, crue soudaine. Irrésistible, le torrent fait tourner la roue de l’aube, broyant la masse végétale, extrayant la blancheur d’une matière malaxée : papier brassé.

Au creux de la cuve, l’encre s’infiltre profondément, imbibant chaque fibre. Évidence : le noir illumine la page et la phrase cachée ressort.

Le Parti pris des lieux (La Lettre volée, 2018)