Antoine SIMON

CB

BIOBIBLIO
Son père est Roumain (Joseph) et sa mère Corse (Marie).
Après les brigades internationales en Espagne le père rejoint la résistance en France. Il meurt dans la bataille pour la libération de Toulon en 1944. Antoine a dix mois. Sa mère se retrouve seule avec trois garçons.
La poésie sans doute commence là.
Il est publié à seize ans dans diverses revues et se prend pour Rimbaud. Il fait le voyage à Charleville puis marche sur ses traces de Charleville à Charleroi. La poésie le bout d'impatience et il abandonne l'université après une année .
Toute hiérarchie étant rédhibitoire il s’engage dans une longue carrière de marchand non sédentaire (45 ans), et poète non plus.
Poursuivant en parallèle une recherche tous azimuts du sens il finit par faire la jonction : la poésie est son chemin de vie. Dès lors la « performance » est pleinement justifiée puisque la poésie remplit la vie entièrement et s'exprime par le texte, mais aussi par la voix, le corps, tout ce qui l'entoure et le moment qui la porte.
Depuis une dizaine d'années qu'il ne travaille plus il est poète à plein temps et la diffuse dans de nombreux festivals en France et à l'étranger .
Il a longtemps proclamé qu'il préférait le public à la publication, il publiait donc peu, environ un livre par an, mais, peut-être un effet de l'âge, il se tourne maintenant vers le livre : trois publications depuis le début 2021 :
Nousiltuje L'Harmattan, préface de Sylvestre Clancier
La branche nue Le Petit Véhicule (Haïkus avec commentaires et collages de Micheline Simon)
Rien du Tout La Rumeur Libre (textes de marche).

Deux autres livres en prévision au cours de cette année :
Fraser, franco-serbe, dans les deux langues, à paraître à Belgrade
Artaud-Totem, suite à résidence à Quimperlé, éditions Sémaphore.

On trouve également des textes en revues et anthologies dans de nombreuses langues d'Europe Centrale, de l'Est, de l'Ouest et du Maghreb.



TEXTES
MALA LUMIN

j'ai mal à l'humain quand il s'engage corps et âme dans une voie sans issue
celle des fanatismes pseudo religieux
des extrémismes pseudo politiques
des exclusivismes pseudo sportifs
des certitudes pseudo philosophiques
l'intransigeance de la pensée conduit directement à celle des actes
les opinions arrêtées bloquées fermées sur elles-mêmes sont un danger pour tous

j'ai mal à l'humain quand il se déchiquette volontairement pour déchiqueter alentour le plus grand nombre parce que ses appels au secours n'ont pas été entendus
que les beaux-arts le refoulèrent
qu'il était mal venu aux jupons de sa mère

j'ai mal à l'humain quand il est supérieur à l'humain dès lors que son rang social
j'ai mal à l'humain quand il noue sa cravate
et boutonne sa veste
et se sent investi
quand sa magnifique voiture est un univers miniature
j'ai mal à l'humain lorsque son compte en banque est le seul garant de sa liberté
le seul garant de sa puissance
lorsque son ascendant sur les autres l'autorise à scinder les autres
lorsque les autres ne sont que marionnettes dans un théâtre d'ombres
ne sont que pions sans visage dans des cases
des cages

j'ai mal à l'humain quand il se sent missionné
délégué
porteur d'une parole bonne à changer le monde
envers et contre tous
à sauver la planète et son Humanité
par dessus le marché
boursier

j'ai mal à l'humain qui règle les mouvements de son cœur sur les battements de l'horloge quand il devrait faire l'inverse

j'ai mal à l'humain quand il regarde sa montre et que le repas n'est pas prêt
quand il confond inconfort et souffrance
lorsque la douche est froide
que le gigot manque de sel
quand il estime qu'on lui doit le respect
quand il est différent de la femme à l'enfant du parent au voisin

j'ai mal à l'humain quand il ignore souverainement tout ce qui le dépasse
quand il ne sait poser que ses pas dans ses pas
que tout ce qui n'est pas ses pas n'est pas
n'existe pas

j'ai mal à l'humain lorsqu'il bat ses enfants sous prétexte qu'il fut
lui-même enfant battu
mal à l'humain oui j'ai mal à l'humain quand les défauts sont tous chez l'autre
quand sa réalité vaut évidence

j'ai mal à l'humain qui veille jalousement sur ses possessions minuscules
son pré carré qui lui sert de refuge contre l'hostilité du monde
car le monde n'est pas domestiqué en dépit de la mainmise que nous avons opérée
le monde se retourne sur l'homme avec ses propres armes
les épaules clouées au sol

j'ai mal à l'humain quand il s'autodétruit à grande échelle en rendant la planète invivable sans prendre conscience que c'est la nature qui l'auto détruit

j'ai mal à l'humain quand ses gestes ses mouvements
ne sont que le reflet de l'humeur de l'instant
quand ils devraient être l'expression de sa dignité

j'ai mal à l'humain qui offre généreusement l'obole d'un symbole en se pensant plus grand que la majorité
l'âge de sa majorité
cependant que son corps d'élite
se délite

J'ai mal à l'humain quand il refuse l'inexorable
que vieillir ne lui convient pas
que les maux de l'âge ne remodèlent pas son mental
bloqué dans la prime jeunesse
du désir
et de l'émotion

j'ai mal à l'humain qui mélange à l'envi ses envies et ses peurs ses désirs ses dégoûts
j'ai mal à l'humain qui se trouve désarmé devant les injonctions paradoxales de la réalité

j'ai mal à l'humain qui se divise en deux catégories irréconciliables
dont l'une comprend moi moi moi
et l'autre tous les autres

j'ai mal à l'humain quand il rechigne à faire les choses qu'il doit faire et qui souffre de ne pas faire les choses quand il ne le peut pas à pas lentement dérisoirement

j'ai mal à l'humain quand il perd son temps dans les foutaises les fantasmes de la pensée comme dans les fariboles les falbalas du refus de penser
quand il perd sa santé dans les nourritures malsaines de l'esprit et du corps

j'ai mal à l'humain quand il promène ses insatisfactions ses incompréhensions ses échecs dans les chemins creux de la ville qui sont les chemins creux du sens quand béton et goudron refluent toute présence
d'esprit

j'ai mal à l'humain quand il se penche avec délectation sur son propre malheur
quand la faute est à l'autre et je suis innocent
quand il se sent coupable d'être humain face à tous les travers qu'il constate et déplore

j'ai mal à l'humain quand il joue pour gagner pour devenir le puissant qu'il envie
qu'il enviera toute sa vie
qu'il envia toute sa vie

j'ai mal à l'humain qui cherche une réponse ailleurs
quand l'ailleurs est ici
au milieu du réel qui est la poésie

j'ai mal à l'humain quand il digresse sa vie entière
persuadé qu'il est dans le fil de l'histoire
dans le droit fil de l'attitude juste
de la bonne altitude

j'ai mal à l'humain qui proclame la Liberté quand il est lui-même le maillon le plus fort de sa chaîne

j'ai mal à l'humain qui nomme toute chose par peur de l'inconnu
qui confond la préhension et l'appréhension


j'ai mal à l'humain capable de trouver de nombreuses positions pour un sommeil confortable et ne s'éveillant qu'avec difficulté.

j'ai mal à l'humain qui vit entre deux mondes
quand il dénie la vie et renie la mort
quand il renie la vie et dénie la mort

j'ai mal à l'humain perdu dans son monde de brutes
dans son monde intérieur dont il n'a pas la clé
ni pour sortir ni pour entrer
dans son monde où lui-même exilé par soi-même

j'ai mal à l'humain quand il se noie dans les stratégies quotidiennes qui sont aussi des appels au secours
quand il ne reconnaît pas l'arbitraire de la distinction entre soi et les autres
j'ai mal à l'humain qui fait n'importe quoi plutôt que vivre
quand il est convaincu d'être tout seul
l'élu de la création

j'ai mal à l'humain lorsqu'il ignore
lorsqu'il fait semblant d'ignorer
que toute cette histoire est une simple projection qui s'évanouit dans la vacuité

Nousiltuje, L'harmattan

***

LE CHEMIN

Le chemin n'est pas le chemin
il est le chemin par lequel le chemin arrive
du chemin matériel à l'autre il n'y a que le pas que tu veux bien franchir
le chemin n'est pas un chemin mais il commence à l'état d'ouverture
c'est un chemin en étoile.
tout chemin véritable est une étoile qui scintille sans condition.
ton interrogation viscérale sur l'être ne répondra jamais de façon satisfaisante
l'être est une évidence qui ne souffre aucune démonstration
ce n'est pas la pensée qui fait l'être c'est le scintillement de l'étoile

Rien du Tout, La Rumeur Libre

***

Seulement

Marcher sur la pointe des pieds
pour ne pas déranger
l'ordre de l'univers

parler le moins possible
pour ne pas rajouter
les froissements de langue

se nourrir de l'espace
avec les grands poumons
de tout ce qui t'entoure

être seulement ça

Rien du Tout, La Rumeur Libre

***

Un oiseau perdu
à la recherche du monde
sur la branche nue


Où l'on peut se poser la question de savoir s'il s'agit de l'animal, de celui qui constate ou de celui qui lit. Qui est concerné ? Tous peut-être. Et quel est le rapport de la branche au monde ?



Réveillé la nuit
il est trop tôt pour penser
et faut-il penser ?


Ici s'opère la distinction entre le réveil volontaire qui permet de profiter du sommeil (voir Montaigne), et le réveil intempestif qui tire du sommeil profond ou de rêves paisibles sans qu'on sache pourquoi. On est alors désorienté, en état de vacance, et l'on a du mal à rassembler ses idées comme l'exprime la phrase toute faite qui penche vers le rationnel. Mais être réveillé avant l'heure c'est ne pas être en état d'apprécier l'éveil, n'importe quel sage indien vous le dira. Pourquoi ne pas plutôt retourner pour un temps au sommeil ?



Quand la nuit s'arrête
le jour joue les devinettes
rien n'est vraiment net


Entre chien et loup toutes les certitudes tombent. C'est le moment rêvé pour devenir garou. A la fin de la nuit les circonstances sont identiques, sauf qu'allant vers le jour les vampires se couchent pour prendre un repos éternel bien mérité, les garous deviennent quidams, les bouchons se forment partout pour les dissuader d'aller travailler. (Haïku de blues)


Et vivre encore une
trop longue journée sans lune
juste le soleil


Où l'on voit que les deux vieux amants ont encore bien des choses à nous dire.
Les étoiles manquent au tableau, qui seraient là uniquement pour faire la claque visuelle et clignotante. Pendant ce temps le temps reste à remplir.
Juste ciel, dit-on d'habitude. Ici l'on va à l'essentiel, soleil sans ciel.

La branche nue, Le Petit Véhicule